Sam Gamgee, la Terre


L’idée d’écrire quelque chose sur Sam m’est venue quand j’ai lu un critique qui tirait argument du peu de ce conséquence de ce personnage pour montrer le «mépris» que Tolkien nourrirait pour les classes populaires. Cette analyse m’a fait bondir, d’une part parce qu’elle introduisait dans le monde du Seigneur des Anneaux une problématique qui n’avait pas lieu d’être, mais surtout cela révélait une incompréhension profonde du rôle de Sam.

Sam le Hobbit

Pour commencer, Sam est probablement le seul vrai Hobbit de la Communauté. Ils sont pourtant quatre, mais Tolkien donne des indication nettes que seul lui le reste vraiment à la fin. En effet, Frodo est depuis le début associé aux Elfes. au point qu’il leur ressemble et que tous les Elfes (et Golberry) le reconnaissent comme ami des Elfes à la seule lueur de son regard. Il parle de plus l’Elfique. Cette association, et cette ressemblance, ne fait que s’accentuer tout au son de son voyage. De sa blessure à Weathertop, il garde une vision partielle du monde des esprits, vision qu’ont les Eldar. Dès la rupture de la Communauté, c’est son aspect «elfique» qui prend le dessus. Sam est le seul à s’occuper de la nourriture, de la cuisine, du confort, toutes choses essentielles pour un Hobbit, et que Frodo aurait tendance à négliger. Certes, Frodo porte le poids de l’Anneau. Mais c’est précisément là que se joue la combat: l’Anneau dérobe peu à peu à Frodo sa nature de Hobbit, jusqu’à en faire un esprit capable de partir dans l’Ouest. Cet aspect est particulièrement souligné dans son attitude vis-à-vis de Gollum. Il prend en pitié la pauvre créature comme seul un Elfe pourrait le faire. Même Aragorn et Gandalf ont dit au conseil leur impatience vis-à-vis des faux-fuyants de Gollum.

Cet état elfique culmine dans le nettoyage de la Comté, où le pacifisme de Frodo tranche sur l’attitude des deux Capitaines. Frodo à ce moment ne participe déjà plus du même monde que les trois autres, et Saruman, même déchu, le voit parfaitement. Frodo a grandi en sagesse et en puissance. mais ce faisant, il n’est plus un Hobbit. il participe d’un pouvoir autre.

Dans une moindre mesure, c’est aussi vrai de Pippin et Merry. Tolkien les met d’ailleurs à part dès le début, du fait de leur appartenance familiale: Tooks et Brandybucks sont vus avec suspicion par les Hobbits normaux, les uns montrant souvent un esprit aventureux, les autres vivant dans une étrange région, près de la Vielle Forêt. Cet écart à la normale semble certes faible au début. Ils sont comiques et sans grande puissance, comme le montre leur double recours à Bombadil. Mais ils le deviennent de moins en moins. Certes, Pippin fait ses bêtises habituelles dans la Moria, et ils sont peu présents jusqu’à leur enlèvement, ne recevant de Galadriel que des cadeaux symboliques. Mais à partir de là, leur croissance est très rapide, dans tous les sens du terme. Arrivés à Fangorn, ils ont déjà crû en sagesse. Rencontrant Treebeard, ils ne lui en racontent pas plus qu’ils ne le devaient. Mais c’est surtout le contact avec les hommes qui va déclencher leur aliénation. Chacun, se mettant au service d’un roi, se met à avoir brusquement le comportement qui correspond, celui d’un Humain. Ils vont délibérément se jeter dans une bataille, et même rivalisent de prouesses (folie que l’on croyait réservée aux Hommes). Comme Frodo, le retour chez eux signe leur différence: ils sont les plus grands (en taille) Hobbits de l’histoire, et prennent le commandement, jouant jeu égal avec les Humains qu’ils rencontrent. il est à cet égard symptomatique que tous deux sentant leur fin venir quittent la Comté et aillent reposer à Rath Dinen auprès d’Aragorn.

Avec de tels compagnons, on comprend mieux que Sam puisse être considéré comme le seul Hobbit du lot. Et ce n’est pas qu’un effet de contraste. Sam va en effet être celui qui va exprimer au plus haut point le pouvoir intrinsèque des Hobbits.

Il en manque un…

Trois anneaux pour les rois Elfes sous le ciel…. Ainsi commence le poème, évoquant les anneaux de Feu, de l’Eau et de l’Air. chacun d’eux joue un rôle majeur dans l’aventure. le Feu permet à Gandalf d’affronter le Balrog et le Noir Capitaine. L’Eau sauve Frodo des cavaliers Noirs et aide à guérir sa blessure. l’Air soutient toute la magie de Galadriel. Attendez, trois anneaux élémentaires… n’en manque-t-il pas un, la Terre ?

Non, il ne manque pas, car les Elfes sont consubstantiels à Arda, ils ont donc tous un lien intime avec la terre. C’est d’ailleurs Sam qui le remarque en Lorien, disant que les Elfes sont en accord avec la terre qui les porte plus encore que les Hobbits avec la terre de la Comté. Pourtant, ce sont les Hobbits qui sont désignés comme les réceptacles du pouvoir de la terre. C’est Gandalf qui en fait la remarque à Frodo. Après le réveil de celui-ci à Imladris, il lui parle des trois, puis ajoute à la suite Dans la Comté réside un pouvoir d’une autre nature. Cette remarque ne prend sens que s’il s’agit d’un pouvoir de la terre. En effet, les Trois ont la faculté de conserver les choses dans leur éclat ancien. Mais la Terre ne peut avoir ce type de pouvoir, car elle porte un symbolisme de mort et de renaissance, pas de préservation. Et ce pouvoir, c’est le pouvoir propre des Hobbits, qu’exprime Sam.

Certes, ce pouvoir est tangible dans la capacité de résistance de Frodo. Mais il faut noter toutes les occurrences dispersées où Sam pose les bonnes questions ou a les bonnes réactions. Ainsi, dans la maison de Bombadil, il est le seul à ne pas faire de cauchemard. il sait qu’il est à l’abri, et ne partage pas la perméabilité des autres, déjà, à la suggestion par l’Ennemi. Dans l’Emin Muil, il refuse le pessimisme de Frodo en disant sait-on jamais ? quand Frodo évoque la possibilité qu’ils ne revoient jamais leurs amis. Et tout au long de son parcours avec Frodo, non content de s’occuper de l’intendance, c’est lui qui montre le plus de résistance a l’Ennemi. Cette mise en valeur de ses qualités hobbittes culmine lorsqu’allant délivrer Frodo, l’Anneau le suggère quand il entre véritablement en Mordor. Mais même alors, l’illusion de pouvoir que lui propose l’Anneau reste emminemment hobbitte et ancrée dans la terre: faire fleurir et fertiliser le désert qu’est Mordor. Et parce que l’Anneau est hors de son aire de suggestion habituelle, il n’a que peu de prise sur Sam, qui rejette la tentation avec une facilité déconcertante. Frodo, Galadriel et Gandalf avaient du mal à résister à la simple vue de l’Anneau. Et ils étaient à des lieues du Mordor. Sam lui est en Mordor, et vient juste d’enlever l’Anneau. et pourtant, il rejette la tentation d’un mouvement d’épaules. Le pouvoir de Sam, celui de Hobbits, c’est celui-là, de rester ancré dans la réalité, de ne pas se laisser séduire par le rêve. Deux illustrations de plus: il est le seul à qui Galadriel fait un cadeau fertile, au sens où le cadeau produira quelque chose au-delà de la guerre. Et surtout cette prodigieuse question, perdue à la fin d’une conversation: Frodo disant qu’il aimerait pouvoir rejoindre Bilbo et écrire et ils vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours, Sam répond Mais où vivront-ils ? C’est ce que je me suis souvent demandé. Ce qui, à la lumière de la conclusion du livre, se révèle être d’une rare pénétration.

Il y a beaucoup d’autres occurrences où Sam manifeste ce pouvoir de la Terre, ce pouvoir de n’être pas corruptible et de toujours penser à la possibilité de continuer à engendrer quelque chose. Je ne les ai pas tous en tête, et je vous laisse le plaisir de les découvrir par vous-mêmes. Si ce texte vous fait relire le Seigneur des Anneaux avec une attention particulière pour Sam, alors ces mots auront rempli leur office.


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